S’il existe quelques tentatives avortées d’introduction du Camellia Sinensis au pays du Soleil levant, l’histoire du thé japonais commence réellement à la fin du 12ème siècle, quand Eisai, moine parti étudier le bouddhisme chan en Chine (Chan qui au Japon deviendra Zen par la suite) rapporta à son retour, des graines et des plans de l’arbuste chinois, dont les feuilles sont utilisées pour faciliter la méditation et maintenir en éveil. Il mit en terre les plans dans l’île de Kyushu, puis, de retour à Kyoto, donna à Myoe du monastère Kozanji les graines afin qu’il les plante. Ainsi est né le premier jardin de thé au Japon, intimement lié à la religion bouddhiste. Le thé se répand et les terroirs se créent, ancrant définitivement sa culture et sa pratique dans la culture japonaise.
Le thé de cette époque est un thé réduit en une fine poudre, puis battu dans l’eau. Le Japon va garder cette tradition pendant près de six siècles alors que la Chine et la Corée passent au thé infusé. C’est un produit luxueux, consommé par les moines et les nobles. Ces derniers organisent des grands banquets, sortes d’orgies autour du thé, dans lesquels on utilise du matériel qui provient de Chine, laqué et doré, en symbole de puissance et de richesse.
Au 16ème siècle, un homme nommé Sen no Rikyu, soucieux de retrouver le sens originel, la pureté et la noblesse du thé, va jeter les bases de la cérémonie du thé et de l’esthétique wabi-sabi. Contrebalançant les fêtes fastueuses des nobles, Chanoyu, la cérémonie japonaise du thé, propose une préparation et une consommation de la boisson dans un rituel épuré et simple, empreint de respect et d’humilité. Le wabi-sabi, l’esthétique attenante à la cérémonie, utilise des objets fonctionnels, en matériaux bruts et modestes, avec des formes visuellement proches de l’état naturel et fabriqués par des artisans locaux. Les premiers bols à thé (Chawan) de la famille Raku à Kyoto datent de cette époque et sont issus d’une collaboration entre Chojiro, le premier représentant de cette dynastie de potiers, et Sen no Rikyu lui- même.
Au 17ème siècle, les premiers thés infusés font leur apparition au Japon. Les techniques de fabrication sont d’abord calquées sur les méthodes chinoises, avec une cuisson par chauffage direct dans une sorte de wok. En 1738, Nagatani Soen va créer à Uji un thé cuit à la vapeur puis roulé en aiguilles, aux saveurs très marqués et aux parfums végétaux. C’est la naissance des senchas, qui proposent, en plus d’un goût purement adapté à celui des consommateurs de l’époque, un temps d’infusion très court, idéal pour les pauses et les temps calmes de la journée. La fierté d’avoir un produit et une technique 100% japonais va également contribuer à son essor.
En 1835, la technique des thés ombrés fait son apparition et le très luxueux Gyokuro naît avec celle-ci. Les thés infusés, pendant la période d’Edo, sont encore très chers et réservés à une élite, et seuls quelques Banchas (thés grossiers issus de la taille des théiers, ou thés régionaux aux méthodes de fabrication peu appliquées) sont consommés par les gens de condition modeste.
La restauration de Meiji et l’ouverture du Japon voient les premières exportations de thé vers des pays comme la Hollande ou les USA, ainsi qu’un début de popularisation de la boisson. Les classes les plus basses inventent le Genmaicha, thé au riz grillé, qui permet par ce mélange la diminution du coût au poids. La production commence aussi sa mécanisation, et les premières machines à cuir e et à malaxer sont créées vers 1890.
Entre les deux guerres, le japon cherche à conquérir de nouveaux marchés et se lance dans la production de thé noir (Wakocha), destinés au marché européen, et d’un thé imitant la forme des thés chinois cuits par chauffage directs mais conservant la cuisson vapeur, les Tamaryokuchas, destinés aux marchés soviétiques et arabes. Le Japon sera pourtant incapable de tenir la compétition face à Ceylan ou l’Inde pour les thés noirs, ainsi que la Chine et Taiwan pour les thés verts.
Après la deuxième guerre mondiale, le thé japonais trouvera donc son salut au Japon, car avec la croissance vertigineuse d’après-guerre et la hausse du pouvoir d’achat des japonais, une véritable démocratisation du thé s’opère surtout du sencha, installant le breuvage dans toutes les classes et tous les foyers. L’exode rurale des ces années facilitera aussi l’achat du thé en magasin au lieu d’une fabrication artisanale pour la consommation personnelle.
Dans les années 80, le boom de l’agriculture du thé s’estompa un peu avec l’arrivée des sodas et autres boissons fraîches, puis du thé en canette, et pour finir du sachet. La consommation du thé en feuilles baissa devant le succès de ces boissons prêtes à l’emploi et pratiques.
Aujourd’hui, la production de thé japonais oscille entre 90 000 et 100 000 T par an. La surface cultivée est plutôt stable avec une production de sencha atteignant 70%, mais le nombre de producteurs diminue chaque année. La conséquence, c’est que la place des petits producteurs, qui produise du thé de caractère et de bonne qualité, se fait de plus en plus petite par rapport aux grands industriels. On peut s’alarmer de la situation, car si le thé japonais a de beaux jours devant lui, il paraît évident que sa diversité et sa qualité sera mise à l’épreuve dans les prochaines années, face à l’uniformisation machinale des grandes marques, leaders du marché. Le bon thé japonais est en danger, et il est indispensable pour sa survie d’aller de nos jours trouver des amateurs en dehors du Japon.